Tavel
19 janvier 2023
Histoire d’eaux dans un village où « jaillit » l’un des meilleurs « rosés » du monde…
Le jeudi 6 octobre 2022, les AMLV se sont rendus à Tavel en début d’après-midi pour y découvrir l’atelier du peintre Pierre Cayol et les jardins du quartier de la Condamine très particuliers avec leurs murs de pierres sèches qui délimitent chacun d’eux. Les 2 visites étaient prévues en alternance. Comme nous n’étions pas très nombreux en cette après-midi ensoleillée, nous n’avons formé qu’un seul groupe.
Pierre Cayol né en 1939 à Salon de Provence, vit depuis de nombreuses années à Tavel (rue des Lavandières). Formé à Grenoble puis à Paris, son inspiration lui vient surtout de sa Provence natale. En 1987, il voyage en Arizona (USA) et au Nouveau-Mexique. Les paysages grandioses et la civilisation indienne qu'il y découvre l'impressionnent fortement et lui révèlent ceux de sa Provence dans leurs similitudes et leurs différences. Désormais il ne peindra plus la Provence comme avant. Il est artiste peintre, décorateur de théâtre, graveur, lithographe et illustrateur. – Nous sommes « envoutés » par son accueil, et découvrons une œuvre colorée, des paysages abstraits superbes, dans son atelier lumineux défilent sa vie intimement liée à son œuvre, c’est avant tout un homme généreux à l’écoute de tous les gens « différents » et nous ne voyons pas passer les heures !!! Nous n’aurons pas le temps de voir les jardins et décidons de reporter cette sortie lors du 1er semestre 2023…
L’épouse d’un descendant de l’un des seigneurs de Tavel va nous servir de guide… Cette future « thésarde » accepte d’ailleurs de nous faire connaître tout le village (pas que les jardins) et de nous en narrer son histoire qui dépend de sa géologie originale. Il est à noter que nous serons le premier groupe qu’elle reçoit, nous ne serons vraiment pas déçus !!! Merci à madame de Chaunac pour sa remarquable prestation...Malgré les travaux de voirie, les rues barrées et le bruit assourdissant des tractopelles, elle a su adapter notre périple loin des bruits et de la fureur de ces engins machiavéliques !!!
Première constatation, le mistral ne nous a pas quittés, le froid est encore plus percutant que ce matin à saint Ruf… l’on constate que certains membres inscrits ont préféré rejoindre leur coin de cheminée… Nous ne serons qu’une quinzaine à slalomer dans les rues étroites de ce Tavel qui semble ne rien faire comme les autres villages alentours !!! Et cela depuis des siècles !!!
Savoir qu’il y a des millénaires sur ce territoire : une mer, des lagons démesurés recevaient des bouillonnements d’eau de fleuves en formation et cherchant un lit… et avec eux des milliers de galets dévalaient de montagnes neuves et fracassées….
Savoir que les lagons sont les collines calcaires actuelles…qu’elles offriront aux Tavelois une roche particulière blanche aux reflets dorés ressemblant à du marbre, façonnable à merci par des hommes expérimentés, …. Cette pierre de Tavel, débitée en grosse « tranche » est utilisée pour les dalles de tombeaux, les plans de travail des gens « branchés », elle est aussi un excellent support pour qui veut graver des mots ou des signes…
Savoir que le sous-sol du village est fait de couches épaisses de sable : bases mouvantes et spongieuses qui alternent avec des épaisseurs de galets agglutinées les uns sur les autres ou indépendants et que des roches dures se sont brisées ou fissurées et ont créée des siphons d’où jaillissent des tripes de la terre, des substances bizarres qui inciteront les « curieux et les chimistes » de tout poil à trouver qu’en faire… Le phosphate fut exploité et draina dans le petit village de Tavel plus de 800 ouvriers à la fin du 19° siècle…
Savoir que lorsque le décor de la France fut planté avec les Alpes, les Pyrénées et le Massif Central, le mont Ventoux et les dentelles de Montmirail….que Rhône, Loire, Seine et les autres eurent fait leur lit et pactisé avec leurs affluents…. Le site de Tavel devint un marécage qui s’étendait jusqu’à Rochefort et Pujaut, une immense forêt entourait cette eau pas tout à fait dormante… gibier dans les bois, poissons abondants, grottes accueillantes, climat tempéré, l’homme nomade, chasseur, pêcheur, cueilleur flaira le « bon coin ». Il manquait l’eau !!! Tavel béni des dieux (qui n’étaient pas encore ceux de l’Olympe) en avait !!! elle était pure, un tantinet capricieuse mais suffisante !!! le grand Vallat : un gros « creux de terrain », (une vallée en somme) cachait dans ses entrailles parmi des éboulis et des amas de gros rochers un trou (aven) duquel jaillissait une source pleine de colère certains jours et qui refusait de se montrer certains autres !!! Source Vauclusienne, cousinette de notre somptueuse SORGUE, elle traçait un sillon d’une douzaine de kms !!! (Avec quelques autres complices secondaires.
Quand les romains eurent conquis la Gaule, traçaient leurs voies, qui passaient forcément le long du Rhône, ils n’ignorèrent pas « Tavel » Halte entre la région lyonnaise et Arles et Nîmes et l’Espagne et le pont du Gard du Gard…, ils pactisent avec les habitants d’alors (les Volques) ( vers 400 avant jésus Christ) les tessons de jarres ayant contenu du vin jonchent encore les vignobles du village et la trouvaille d’accumulations de pépins de raisins -résidus de presse- prouvent que les vignes existaient déjà à cette époque à Tavel !!
Superstitieux les Romains attribuèrent à Apollon le mystère de l’eau, la déclarèrent « bienfaisante » Ils construisent des thermes : (découverte lors de la construction de l’autoroute en 1972 de l’hypocauste : bains chauds), et d’un temple qui a servi de soubassement à une chapelle romane qui, en 1189 fut cédée par le diocèse d’Avignon à Guillaume, abbé de Villeneuve Lès Avignon elle a été reconstruite en 1608, elle est petite et dédiée à Saint Ferréol, martyr chrétien tué par les Romains à Vienne Isère.
Lors des invasions barbares du Ve siècle, le pays est saccagé. Celui-ci connaît une sombre période, la population est réduite à peu de membres : un groupe de moines défricheurs au prieuré de Montézargues au VIIIe siècle et quelques familles de paysans.
Les Tavelois sont de fervents catholiques, influencés par la papauté proche et la tutelle de l’abbaye st André de Villeneuve lès Avignon qui a installé, sur le territoire, de nombreuses petites communautés religieuses qui gèrent les vignobles, fournisseurs en vin de la papauté… Les guerres de religion n’ont pas l’heur de plaire à la population qui sage, préférerait « cultiver son jardin » et rester en dehors de ce vacarme … surprenante décision : en 1622, on informe par écrit, catholiques et protestants étrangers au village que Tavel ne peut assurer un abri à des « proscrits » et ne permettra pas donc pas aux poursuivants de les assiéger : « Aucune tour- Château Fort, ni muraille. Tout a été abattu depuis les derniers troubles » (1560-1598). » Originale décision qui dissuade quiconque de s’installer sur le site...pour guerroyer… Ne pas avoir de remparts permet de rester neutre, conseil d’un des nombreux seigneurs nommé Parpaille, qui était à la tête d’un « terroir-vignoble- mais qui, acquis à la « réforme » avant de fuir, a donné ce judicieux conseil à la population… (de son nom viendrait l’étymologie de parpaillot pour évoquer avec un brin de nuance péjorative les protestants).
D’autres mots d’origine taveloise figurent dans le dictionnaire français : la « tavelure » maladie des arbres fruitiers due à de microscopiques champignons…. Toutes les « appellations d’origine contrôlée » sont issues de cet ilot vinicole.
En 1737 : marquage des fûts de Tavel « CDR » (Côte du Rhône) pour lutter contre la fraude, les tonneaux sont « scellés », aucune vente au détail du Tavel n’est autorisé et on assure une garde rapprochée des vignobles avec interdiction d’utiliser des raisins autres que ceux de Tavel. La France viticole, du nord au sud, de l’est à l’ouest suivra l’organisation drastique des « appellations »…
Et au milieu des vignobles coulent et serpentent les résurgences d’eau qui permettent (-avec moultes disputes, revendications, et d’autres arrêtés municipaux et privilèges pour en bénéficier ) aux mouliniers de presser les olives, de faire de la farine ; aux nombreux troupeaux d’ovins de s’abreuver et de brouter dans des prés gras à souhait, à des usines de phosphates de fonctionner à plein régime, à d’autres « fileries » (4) de décoconner (= filer les cocons de vers à soie), à traiter la garance, entre autres…. Et au seigneur de faire cultiver ses jardins… (qui deviendront, après la révolution, dans le quartier des Comtamines (= terres du seigneur) ces petits carrés bornés de terres sèches si typiques et prisés à notre époque : un quartier beau et frais…ou des calades romantiques court-circuitent les lignes trop droites et les chemins sans détour !!!
L’eau belle, secrète, joyeuse, généreuse aboutit dans le creux du village, elle est polluée et engendre en 1835, une épidémie de choléra très certainement à cause de l'état de saleté de la fontaine (fumier, urine, ordures) -c’est sans nul doute à cette époque, que l’aven du grand Vallat devint le mal (mauvais) aven !!§
A partir de l’épidémie, on « organise les circuits d’eau…. »
Magnifique lavoir alimenté par un circuit indépendant. Qui permet aux « bugadières » de pouvoir laver leur linge et le rincer dans de l’eau « propre » qui arrose ensuite les jardinets qui le cernent…. Suivant des horaires et des jours très précis… le « planning » existe encore de nos jours, il est affiché et respecté !!!
Une autre « roubine » issue d’un autre « aven » passe sous L’église saint Michel et vient alimenter les mascarons de la superbe fontaine en pierre du pays sur une placette en calade : beauté, murmure, fraîcheur et harmonie…
l’église agrandie en 1848 doit sa nef à un des Franque (lignée d’architectes d’Avignon) qui, pour respecter le passage de la source a conçu un « cul de poule » ovale (rareté et beauté !!!). Autre particularité de cette église… Comme on ne voyait pas la vierge et l’horloge dans certains quartiers lors de la construction initiale, elle a été surélevée !!!
Surprenant petit village qui offre un rosé acidulé, bu bien frais lors de nos soirées d’été…. iL désaltère une partie du monde des gourmets et des amateurs de bons crus !!!
Surprenants Tavelois qui ont autant de caractère que leur vin et leur eau secrète…. Village à fréquenter sans aucune modération….
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